Les défis de l’application des droits de l’Homme au Tchad et perspectifs
Les défis de l’application des
droits de l’Homme au Tchad et perspectifs
Malgré
la ratification par le Tchad des principaux instruments internationaux de
protection des droits de l’Homme, l’application de ceux-ci reste confrontée à
d’énormes défis qu’il faille souligner. Il s’agit notamment de :
-
La prédominance du pouvoir exécutif sur le pouvoir
judiciaire et législatif : le
gouvernement utilise souvent la justice soit pour régler leurs comptes à des
opposants, des leaders de la société civile ou autres activistes (les cas de
Mayadine Bouyebri, Laoukein Medard, Versinis, Ngandjei Solo, Palmer,
etc.) ; soit pour ralentir ou simplement entraver les procédures
judiciaires contre les proches du régime (Les auteurs des massacres de Ngueli
et ceux des prisonniers en transfèrement vers la prison de Koro-toro, la
plainte contre Saleh Deby accusé de détournement de 136 milliards de FCFA,
etc.) ;
-
L’implication partisane des autorités militaires et
administratives dans les conflits communautaires : les conflits communautaires liés à la gestion du
foncier, à l’exploitation des ressources naturelles partagées et plus
particulièrement les conflits entre éleveurs et agriculteurs sont devenus des
fonds de commerce pour de nombreuses autorités précitées. Celles-ci, souvent propriétaires
des troupeaux, attisent les tensions en incitant leurs bouviers à provoquer des
conflits qu’elles reviennent elles-mêmes gérées en exigeant des amendes
colossales aux agriculteurs. Aussi ces autorités foulent-elles allègrement aux
pieds les lois et l’autorité des magistrats en exigeant et en imposant la dia
(prix du sang) même aux communautés qui ne la pratiquent pas. Le cas du conflit
de Bologo/ Kelo reste marquant ;
-
La militarisation et la politisation de
l’administration du territoire au niveau déconcentré : le contrôle des unités administratives
déconcentrées par des officiers de l’armée et des femmes et hommes nommés pour
le militantisme politique sans réelle connaissance de l’administration reste un
majeur dans l’application des droits de l’Homme au Tchad. Les principaux cas de violations des droits
humains sont du fait des hommes en treillis qui profitent des équipements
militaires mis à leur disposition grâce à l’argent du contribuable pour violer
les libertés et les droits fondamentaux des populations, influencer, intimider
et/ou menacer les magistrats et les
avocats dans les affaires qui les mettent en cause ;
-
Faible connaissance des instruments internationaux
de protection des droits de l’Homme par certains magistrats : alors que les traités, conventions et
protocoles régulièrement ratifiés par le Tchad devraient avoir prééminence sur
les lois nationales, certains magistrats, par ignorance ou expressément,
n’accordent pas de crédit à ceux-ci, bafouant ainsi les droits des justiciables
lorsque ces derniers sont victimes de violations de leurs droits
fondamentaux ;
-
Les restrictions des libertés notamment la liberté
de manifester : le pouvoir, à
travers le ministère de la Sécurité publique,
interdit systématiquement toute manifestation publique à la demande de
la société civile. Les partis politiques de l’opposition sont, eux-aussi,
interdit systématiquement d’organiser des meetings populaires en dehors des
périodes de campagnes électorales. Seul le MPS et les organisations de la
société civile qui lui sont proches ont la liberté d’organiser des manifester
publiques en soutien au régime. L’Agence nationale de sécurité (ANS) jouit
d’une super puissance à lui conférer par le décret N°008/PR/2017 du 17 janvier
2017. Elle a le pouvoir de filature, enlèvement, séquestration, torture, mise
sur écoute, etc. par des agents souvent très peu qualifiés et extrêmement zélés
et ce, en dehors de tout contrôle judiciaire ou policière ;
-
Les difficiles conditions de détention et la lenteur
judiciaire : une situation
qui oblige des centaines de détenus à passer des mois, voire des années, en
détention sans aucune forme de procès. La surpopulation carcérale, la
quasi-inexistence des soins, les conditions d’hygiène alarmantes, l’arnaque
dont sont victimes les visiteurs de la part des éléments des forces de l’ordre
à l’entrée des maisons d’arrêt (700 fcfa par visiteur qui souhaite voir un
proche à la prison d’Amsinéné) sont autant de facteurs qui aggravent la
situation des détenus.
Perspectifs
Si
les défis dans l’application des droits de l’Homme sont nombreux au Tchad, les
perspectifs nous semblent peu reluisants. Quelques éléments soutiennent notre
inquiétude :
-
Le durcissement du régime : après 27 années de pouvoir faites de
mensonge, corruption, détournement, dilapidation des ressources, truquages des
élections, etc. , le pouvoir de Deby peinent à trouver des arguments pour
justifier ces échecs. Or, un réveil citoyen se fait sentir depuis des bureaux
aux marchés en passant par les universités et les réseaux comme l’ont témoigné
les manifestations citoyennes de 2015 et 2016 ainsi que l’élection
présidentielle de la même année. Dans ce contexte, le régime en place se durcit
en interdisant et en étouffant toute voie discordante à la sienne. Le renforcement
des pouvoirs de l’ANS, les emprisonnements des journalistes, opposants et
activistes sont des signes précurseurs de ce durcissement ;
-
La crise de trésorerie : se trouvant dans les difficultés de remplir ses
charges sociales suite à la crise de trésorerie consécutive à la baisse des
revenus pétroliers et à leur mauvaise gestion, le gouvernement prend des
mesures antisociales pour espérer les résoudre. La récente déclaration du
président Deby prévoyant de répartir au niveau des salaires de 2003 porte
gravement atteinte aux droits économiques et sociaux des travailleurs et
partant, de toute la population ;
-
L’argument sécuritaire : les attaques terroristes des éléments de Boko
Haram à N’Djamena dans la région du Lac a donné l’argument au gouvernement de
faire adopter la loi anti anti-terroriste très liberticide. Les bruits de
bottes dans le septentrion et une éventuelle remobilisation des activistes
pourraient inciter le régime à faire usage de cette loi pour faire taire toutes
les contestations.
Néanmoins,
les récentes adoptions du Code pénal et du Code de procédure pénal ainsi que la
réforme éventuelle de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH)
constituent des avancées à saluer.
TOÏDOM NODJINDO Marcelin,
Coordonnateur de Tchad Non-violence (TNV)
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